Interprétation
[Marque]
La structure de la marque est décrite par Jacques Derrida lors d'un colloque sur la communication en 1971.
Ce qui se produit dans la "communication" n'est pas la transmission d'un sens ou d'une intention, mais la citation d'une "marque" [n'importe quel parole, texte, ou formule]. En l'émettant, l'émetteur abandonne cette marque et la laisse à un destinataire qui, lui aussi, peut être absent. La réitération se fait nécessairement dans un autre contexte, imprévisible et hétérogène, dans lequel l'intention initiale de l'émetteur (son vouloir-dire) aura été perdue.
Un langage multivalent est défini par le fait que plusieurs sens peuvent être attribués à un signe. Ces différents sens ne lui sont pas attribués directement et par convention entre deux individus - comme dans les hiéroglyphes - mais par suggestion de différentes interprétations. Ainsi, le sens n’est pas attribué au signe par l’émetteur – en relation à un sens commun – mais par le récepteur. L’association signe-sens se construit alors indéfiniment, en négociant avec les autres éléments de l’émission (qu'elle soit image, son, écriture) dans laquelle le signe est inscrit ainsi qu’avec la subjectivité du récepteur. La possibilité de sens contenue dans la marque est infinie. Lorsqu’un sens en est tiré, il n’est pas définitif car la marque peut, à tout moment, être ré-interrogée. On distingue ce sens possible et infini, du sens commun attribué à une émission.
Pierre Delayin a défini l’intention comme le vouloir-dire de l’émetteur. Cependant, lorsque ce dernier produit une marque et la matérialise hors de son champs d’intimité vers un public, la volonté première n’est pas forcément une volonté de sens. L’émetteur peut avoir une volonté d’effet, de processus. Il cherche alors à privilégier le parcours au résultat. Propos de certains artistes ou poètes, cette intention est basée sur la multiplicité d’interprétation possible de l’oeuvre ou de certains de ses composants. Le récepteur - public ou lecteur - est alors débarrassé du devoir d’assimilation d’une idée à l’identique. Il se trouve libre d’interpréter, de traduire, d’analyser et de créer. Ce type d’émission écarte la notion de juste ou de faux – et par là, toute facilité de préhension.
La traduction d'une émission par le récepteur est subordonnée à ce qu'on peut appeler des filtres et qui constituent chacun de nous. Ces filtres se construisent par l’accumulation de tout ce que l’individu a vu, entendu et vécu. À l’origine de la multiplicité des sens possibles, ils déterminent la nature des interprétations que fera l’individu. Ils sont sa subjectivité, son unicité dans le traitement de l’information. Potentiellement influencés par toute nouvelle captation, ils sont en perpétuelle construction, transformation, recomposition ou ajustement. Ils transforment le sens et sont transformés par lui.
Barthes, 1966, Le lieu de l’écriture c’est la lecture.
Nelson Goodman , 2005, la création, l'appropriation par le récepteur d'une oeuvre ou d'une écriture en fait sa raison d'être.
Delayin, 2008, L’événement d’une écriture ne se produit pas sur le champ. Il a lieu après-coup, dans un autre temps, quand une autre lecture ou des [télé-]technologies le transforment.
Si c’est le récepteur qui termine le processus de création amorcé par l’émetteur. Alors il se crée une relation profonde, fondamentale et primordiale entre l’émetteur, le récepteur, l’émission et le sens. Ce postulat transforme la hiérarchisation classique d’autorité des positions entre auteur et récepteur. Il transforme également l’idée de deux positions uniques et indépendantes l’une de l’autre. Non seulement émetteurs et récepteurs deviennent inter-dépendants dans la création de sens, mais ils doivent également prendre en compte, comme réel corps du processus de communication, la marque, l'émission.
[Savoir/s]
L'émission doit aller au-delà de la transformation de l'objet-savoir du récepteur pour agir sur la façon dont il considéré et acquis.